Les arrêtés préfectoraux encadrant certaines dérogations accordées à la pratique de la chasse en période de confinement rivalisent d’austérité.
« On jurerait un extrait de Madame Bonheur », ironise un parlementaire, auquel il arrive de régaler sa petite-fille de trois ans des aventures de l’héroïne joviale de la série des « Monsieur-Madame ». « Par ordre du roi, il est interdit de sourire, rire, s’esclaffer », proclame une pancarte à l’entrée du « Val-de-Larmes », que la petite madame Bonheur visite. Ces derniers jours, les chasseurs de France ont partagé le même sentiment en découvrant les textes des arrêtés pris par plusieurs préfets, leur accordant des dérogations pour procéder à des activités de régulation de la faune sauvage.
« Les moments de convivialité (repas, collations…) sont interdits », insiste l’arrêté du préfet d’Ille-et-Vilaine. Les tireurs autorisés de pigeon ramier, de corbeau freux et de corneille noire des Yvelines, qui ravagent actuellement les cultures, sont sommés de « ne pas s’embrasser ». Car, soupire le même élu en levant les yeux au ciel, « chacun sait qu’on s’embrasse à tout moment au cours d’une battue »… Simple frustration de chasseurs ? Au-delà de l’anecdote, de nombreux parlementaires, irrités du « peu de cas » que l’exécutif semble faire de la représentation nationale en temps de crise, y voient comme un symbole, à commencer par le plus éminent d’entre eux, le président du Sénat Gérard Larcher lui-même chasseur, qui doit aussi s’astreindre à remplir son attestation quand il visite sa ferme. « Les Français doivent remplir chaque jour leur bulletin, justifier leur sortie, estimer l’heure de leur retour… Quelle atteinte aux libertés ! Et maintenant, on régule même la convivialité ! C’est écrit noir sur blanc dans ces arrêtés », s’effare-t-il. Si « la situation sanitaire l’exige, cela ne peut se faire que sous contrôle du Parlement », estime-t-il, regrettant que l’état d’urgence sanitaire, qui octroie à l’exécutif de larges prérogatives pour légiférer par voie d’ordonnances ou imposer des restrictions, ait été prolongé jusqu’au 16 février, au grand dam des oppositions.
Prolifération
Ils sont nombreux, dans les couloirs du Sénat comme de l’Assemblée, clairsemés pour cause de Covid, à s’alarmer de l’ambiance distillée sur le territoire par ces arrêtés au ton sec, véritables trésors, parfois, de « poésie administrative ». Ainsi, donc, de ces arrêtés sur la chasse, présentés par certaines associations comme un « privilège » accordé aux chasseurs, quand il s’agit avant tout de régulation.
Le confinement ayant ralenti les activités de chasse, certains grands gibiers prolifèrent : cerfs, chevreuils et surtout sangliers, qui ont déjà, cette année, infligé pour 46 millions d’euros de dégâts aux agriculteurs. Une prolifération qui préoccupe les ministères de l’Écologie comme de l’Agriculture : l’extension continue des zones pavillonnaires, l’exploitation des forêts (dont la superficie globale augmente), ont poussé au fil des ans les sangliers vers les champs, où ils font des ravages dans les blés, les maïs, le colza, les champs de moutarde… Et menacent les autres espèces. Chaque laie faisant en moyenne une portée de cinq petits tous les deux ans, les professionnels redoutent, en l’absence de toute régulation, une explosion des dommages au printemps. La secrétaire d’État chargée de la Biodiversité a donc invité les préfets, par circulaire, à organiser des actions exceptionnelles de régulation, en fixant dans chaque département des objectifs de prélèvement.
Certains préfets se défoulent en bons technocrates, comme s’il fallait tout contraindre.
Dans les Yvelines par exemple, on enjoint aux chasseurs d’abattre « le maximum » de cerfs, chevreuils et sangliers possible en novembre et décembre « au regard des contraintes », avec pour cible un minimum de 1 400 sangliers, de 700 chevreuils et de 200 cerfs. Une « mission de service public » demandée aux chasseurs, qui prennent assez mal, du coup, le ton employé pour leur intimer d’apporter leur aide : « Qu’on soit obligés d’expliquer à l’opinion publique que ce n’est pas un privilège, je le comprends. Mais je comprends moins l’attitude des préfets, dont certains se sont défoulés en bons technocrates, comme s’il fallait tout contraindre ! Résultat, ils risquent d’obtenir l’effet inverse », redoute Thierry Coste, lobbyiste pour la Fédération nationale des chasseurs (FNC.) Était-il nécessaire, par exemple, de préciser par écrit que les chasseurs en battue auraient l’interdiction de manger ou de boire un café ? Qu’ils devraient se transporter sur les lieux à seulement deux par voiture ? Qu’ils devraient veiller à ne pas se « rassembler sur les parkings », à ne pas « se serrer la main », à ne pas « s’embrasser » ?
Dans l’histoire des enfants, la petite madame Bonheur règle la question en sortant un stylo-feutre de son sac, rebaptisant « Val-de-Larmes » en « Val-de-Rires ». La morale inspirée aux tout-petits vaut aussi pour les plus grands : pour être heureux, parfois, il suffit de pas grand-chose, et surtout… De se forcer à sourire.
URSS la revoilà !